Le numérique est d'abord une affaire de territoire, où se jouent l'accaparement des ressources, le jeu des négocations inhérentes à l'interdépendance des réseaux et, aujourd'hui, de nouvelles aires de conquête spatiale. Face aux déséquilibres géopolitiques, quels sont les enjeux pour l'Europe ?
Aucun acteur, même une Big tech, ne peut prétendre aujourd’hui maîtriser l’ensemble de son “territoire numérique”. Pour produire réseaux et terminaux, il est nécessaire d’extraire des métaux qui sont répartis inégalement sur la planète, avec des écarts de quantité et de qualité. Certains pays sont des territoires plus favorables à l’installation des serveurs nécessaires à la vie numérique pour des raisons géographiques et climatiques : lorsque Google installe ses centres de données en Finlande, ceux-ci profitent de l'eau de mer du golfe de Finlande qui permet de réduire la consommation d’énergie nécessaire au refroidissement de ces infrastructures géantes.
La France est également un territoire intéressant pour ces infrastructures gourmandes en eau, car elle constitue une terre au réseau fluvial dense, et sa facture énergétique reposant sur le nucléaire lui confère une certaine sécurité d'approvisionnement à coût réduit. Elle est également, pour les entreprises américaines et chinoises, un territoire d'accès privilégié vers l'Europe : reliée aux cables sous-marins transatlantiques à l'Ouest, elle est récemment devenu station d'atterissement du câble PEACE chinois débarquant à Marseille après avoir traversé les côtes indiennes, africaines et passé le canal de Suez.
Ainsi, les interdépendances du monde numérique commencent par le territoire, ses richesses, sa géographie, son histoire. Et dans cet environnement, nous observons de très grandes disparités de pouvoirs. Nous le voyons aujourd’hui dans la difficulté que rencontrent les États européens à réguler les grandes entreprises du numérique, principalement les Big techs américaines. Dans une certaine mesure, les États-Unis sont eux-mêmes confrontés à cette difficulté, et la politique antitrust de l’administration Biden fait face à sa propre dépendance aux géants du numérique.
Nous tenterons, dans ce talk, de dresser un état des lieux des enjeux géopolitiques relatifs aux infrastructures qui soutiennent la vie numérique. Les stratégies industrielles américaines et chinoises, et la position européenne, seront également analysées. Au delà du constat, il s'agira enfin de faire quelques propositions pour l'Europe.
Spécialiste de la géopolitique numérique, Ophélie Coelho est chercheuse indépendante, membre du conseil scientifique de l'Institut Rousseau et de l'Observatoire de l'éthique publique. Son champ de recherche porte sur les dépendances technologiques dans le contexte géopolitique, dont les enjeux environnementaux soulevés par la territorialisation des infrastructures. Elle est également actuellement Chargée de recherche utilisateurs à la direction interministérielle du numérique, un terrain formidable pour comprendre comment le numérique est géré à l'échelle de l'État, et travaille dans l'industrie du numérique depuis 2009 d'abord en tant que développeuse front-end puis cheffe de produit au sein d'entreprises et start-up.
Quelques interventions :
Numérique : Enjeux géopolitiques, externalités environnementales et chaînes de dépendance https://replay.jres.org/w/kCEEhbvGS6Dzim2ibXnuJo
Extrait table ronde "Quel numérique pour une planète durable ?" - Ophélie Coelho https://www.dailymotion.com/video/x8baqjo
Enjeux environnementaux de la souveraineté numérique et interdépendance https://techologie.net/episodes/65-enjeux-environnementaux-de-la-souverainete-numerique/
La Russie peut-elle vraiment nous priver d’internet ? https://www.youtube.com/watch?v=HI87IkBYOoY
Intervention - « Comment la France peut aider à bâtir une « troisième voie » européenne pour le numérique ? » https://www.dailymotion.com/video/x86ptr7