A la frontière entre art, design, technologies et activisme se trouve ce que Carl DiSalvo appelle l’adversarial design : une production d’objets ou d’interfaces qui ouvrent des espaces de confrontation politique, offrent des ressources et des opportunités de participer au débat public ou à la contestation. La visualisation de données et d’informations s’inscrit dans cette famille d’artefacts quand elle permet aux citoyens de voir et percevoir des rapports, des tendances, des forces dans les enjeux publics, quand elle soulève de nouvelles questions et crée des zones de tensions idéologiques.
A partir de cet angle d’approche, je présenterai le travail de recherche que j’effectue sur la visualisation de données économiques et en particulier sur la visualisation des réseaux de lobbying dans les institutions européennes. Ces exemples, auxquels s’ajouteront quelques visualisations historiques, permettront de dégager trois axes méthodologiques permettant de décrire la spécificité du design dans le champ de la visualisation de données. Le premier concerne le rapport à la complexité : à travers des interfaces sur mesure, des modes de scénarisation, nous verrons comment il est possible de guider dans la complexité plutôt que de la simplifier. Le deuxième axe abordera la prétendue objectivité ou l’impression de rationalité qui émane des visualisations de données et l’intérêt du designer à privilégier la transparence des méthodes à une neutralité veine. Enfin, nous verrons ce qu’implique le fait de considérer et de traiter les visualisations de données comme des images à travers la rhétorique et la puissance symbolique.
Fabrice Sabatier est designer graphique. Il vit et travaille à Bruxelles. Il cofonde, en 2008, le collectif de création graphique .CORP, aujourd’hui présent à Bruxelles et Saint-Étienne. Il est diplômé de l’école supérieure d’art et design de Saint-Étienne (2008) et, depuis 2013, poursuis un doctorat en Art et sciences de l’art à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et à l’école de recherche graphique (erg). Sa recherche s’intéresse au rôle du design dans la perception de l’économie à travers la visualisation de ses données. Il développe notamment des projets de visualisation de réseaux d’influence dans les institutions européennes. Il est l’auteur de plusieurs articles dont une petite histoire de la visualisation de données (« Histoire de tournée en rond : brèves, cousues main, du fromage normand à Barack Obama », revue en ligne Tombolo, 2013), une description de l’utilisation de la couleur dans le design de données (« Du poète dans la machine » dans De la couleur comme un code, ed. -zeug, 2016) ou une analyse du rôle du design dans la visualisation de réseaux (« Des données aux images du lobbying » dans De l’Image du Pouvoir au Pouvoir sans Image, éd. Obsidiane - Les Trois P, 2016)